Crédit ANDERS WIKLUND / TT
Les modérés de Fredrik Reinfeldt à la tête de la coalition de centre-droit, aussi appelée « l’Alliance pour la Suède » - incluant centristes, libéraux et chrétiens démocrates - au pouvoir depuis 8 ans, doivent désormais céder la place aux socio-démocrates menés par Stefan Löfven. Mais c’est la montée du parti d’extrême droite dit des « Démocrates suédois » qui a surtout fait couler de l’encre. Avec 12,9% des voix, les partisans du jeune et dynamique Jimmie Åkesson ont plus que doublé le score qu’ils avaient obtenu en 2010 et gagnent 29 sièges supplémentaires au Riksdag suédois. Ils avaient déjà créé l’événement en mai dernier en remportant deux sièges au Parlement européen.
« Il est temps de mettre les intérêts partisans de côté », certifiait Stefan Löfven le soir des élections après l’annonce des résultats, se disant prêt à tendre la main à tous les « partis démocratiques ». Une alliance « rouge-verte » devrait donc prendre le pouvoir au Riksdag, réunissant les socio-démocrates, les écologistes et le parti de gauche. Et bien qu’en tête des votes, grâce aux quelques 31% de voix récoltées, les partisans de Löfven doivent maintenant s’assurer une majorité forte au Parlement : la répartition des sièges ne leur laisse en effet qu’une petite marge de manœuvre avec 158 sièges remportés contre 142 pour « l’Alliance pour la Suède ».
Au cours de l’entrevue qu’il a eu vendredi 19 septembre avec les responsables des partis de « l’Alliance pour la Suède », Stefan Löfven n’a certainement pas manqué de courtiser la responsable du parti centriste, Annie Lööf, forte de ses 6,1%, et qui pourrait renforcer la nouvelle majorité de gauche. Et même si cette dernière a rappelé aux journalistes présents avant la réunion que son parti n’était pas prêt à rejoindre une coalition socio-démocrate, Stefan Löfven en est ressorti souriant et confiant.
Les nouveaux maitres du jeu politique
Du fait de la règle proportionnelle, et on le constate encore aujourd’hui, les coalitions politiques sont monnaie courante au Riksdag. Pour autant tous les groupes politiques représentés au Parlement ont d’ores et déjà exclu de négocier avec les « Démocrates suédois », parti d’extrême droite fondé en 1988. Troisième force politique du pays, ils ont conscience du poids qu’ils ont désormais au Parlement et de la pression qu’ils peuvent exercer sur les deux blocs constitués. « Nous sommes tout à fait les maîtres du jeu maintenant » affirme Jimmie Åkesson. Difficile d’être plus explicite.
Son objectif est clairement affiché : réduire l’immigration de 90% et en finir avec les problèmes d’intégration posés par les populations nouvellement arrivées en Suède. Dans une interview accordée à la BBC il y a deux ans, Åkesson affirmait que les « immigrés musulmans s’enferment dans les banlieues où ils construisent des sociétés parallèles ». A son sens, « mieux vaut exporter de la stabilité plutôt que d’importer de l’instabilité ».
Le parti, qui trouve ses racines dans certains groupes racistes et néo-nazis actifs dans les années 1980, a réussi à entrer dans le jeu politique suédois en 2010 en modernisant son image, en apaisant son message et en évinçant ses membres les plus extrêmes. On pourrait vite faire le rapprochement avec le Front national français, qui a également su polir son image et « décomplexer » l’extrême droite, pourtant Marine Le Pen a refusé de s’allier aux Démocrates suédois au Parlement européen.
Les cadres du parti se défendent toutefois d’appartenir à l’extrême droite et dénoncent le racisme ainsi que toute forme d’extrémisme. Ils préfèrent pointer du doigt le « Parti des Suédois », ouvertement xénophobe, qui avait remporté quelques sièges dans certains conseils municipaux en 2010. Toutefois, les Démocrates suédois monopolisent l’aile extrême-droite du Riksdag, ne laissant pas de place au « Parti des Suédois » qui doit se contenter de 0,01% des voix. Ils sont particulièrement populaires dans le sud du pays, comme en Scanie, une région où la population immigrée a été multipliée par 4 depuis 1998, et où leur score dépasse même celui des modérés, à 22,16% contre 22,12%.
La Suède, asile du monde
Dans un pays d’un peu plus de 9 millions d’habitants où 15% de la population est née à l’étranger, la question de l’immigration est évidemment centrale. En 2012, ce sont près de 110 000 permis de résidence qui ont été délivrés, un chiffre gonflé de 19% par les réfugiés en provenance de Syrie. Ils sont 12 000 à avoir été accueillis en 2013, depuis que la Suède a décidé d’accorder l’asile permanent à tous les réfugiés syriens qui en faisait la demande et qui entrait dans l’espace Schengen directement par la porte suédoise.
En raison de l’aggravation de la crise humanitaire en Syrie, l’agence pour l’immigration a récemment revu ses prévisions à la hausse et s’apprête à accueillir 80 000 demandeurs d’asile pour l’année 2014. D’autre part, ce sont quelques 7 milliards de couronnes que le gouvernement de Fredrik Reinfeldt avait prévu en avril dernier de retrancher à l’aide au développement sur deux ans, afin de soutenir l’effort de plus de 16 milliards de couronnes supplémentaires nécessaires à l’accueil des nouveaux réfugiés.
Mais au-delà de l’accueil des réfugiés, c’est surtout la question de leur intégration à la société suédoise qui inquiète. « Il y a un vrai problème d’intégration, confie Hazem, un réfugié syrien arrivé il y a deux ans en Suède. Certains [immigrés] même après des années passées en Suède ne parlent toujours pas suédois, n’ont pas d’amis suédois. Je comprends que certains soient tentés de voter pour les Démocrates suédois quand on voit ce qui se passe dans les ghettos ».
Pourtant le gouvernement fait des efforts, soutient des associations locales d’insertion, propose des cours de langue gratuits et ouverts à tous. Pour Hazem, le problème vient surtout du fait que les réfugiés peinent à trouver un emploi, à cause de la barrière de la langue d’une part, mais aussi à cause du manque de postes à responsabilités disponibles pour eux. « Les demandeurs d’asile aujourd’hui sont plus qualifiés que les précédents, et n’entendent pas passer de cardiologue à chauffeur de taxi ». Ce à quoi les propos de Bassel, lui aussi réfugié syrien, font écho : « Je ne fréquente pas la communauté syrienne, je ne préfère pas. Il y a beaucoup de compétition entre les Syriens ici. Beaucoup sont médecins, comme moi. On se bat pour les mêmes places. »
Le vote comme levier d’intégration
Comme les citoyens de l’Union européenne, les étrangers ayant obtenu l’asile permanent peuvent voter au niveau local, à la différence que ces derniers doivent résider au moins 3 ans sur le territoire suédois avant d’accéder aux urnes. Pour les Syriens, qui ont commencé à affluer en Suède à partir de 2011, il faudra attendre encore un peu. Et face à cette perspective, les réactions sont mitigées : « Bien sûr que je voterai », me soutient Hazem, tandis que Bassel affirme que même s’il pouvait voter, il ne le ferait pas. « Ce n’est pas mon pays » conclut-il.
Avant les élections, et face à la montée de l’extrême droite, tant dans les sondages que dans les esprits, certains ont tenté de se mobiliser afin de sensibiliser la population immigrée au vote. Dans les mosquées, comme à Malmö en Scanie, les imams ont convié des représentants des différents partis politiques de gauche, du centre et centre-droit, eux-mêmes issus de l’immigration, à la prière du vendredi, la plus fréquentée de la semaine. Certains étaient déjà présents lors de la célébration de la fin du Ramadan, en juillet dernier, et distribuaient dattes et friandises tout en parlant politique, raconte Hazem. C’était pour eux l’occasion de présenter leur programme à leurs coreligionnaires et de mettre en avant l’intérêt qu’ils avaient à voter, de façon à affaiblir les Démocrates suédois. Ils s’adressaient principalement aux Irakiens qui constituent, avec près de 130 00 âmes, la deuxième population immigrée en Suède, derrière les Finlandais, et qui sont installés ici depuis plus longtemps que leurs voisins syriens.
« Il faudra comparer avec les prochaines élections ! » lance Hazem, où les réfugiés syriens seront alors autorisés à voter localement. Selon lui, la présence syrienne va changer beaucoup de choses en Suède. A commencer par le plus important. « Pour le moment, ce sont les Irakiens qui tiennent les restaurants arabes. Mais la nourriture va changer ici, les falafels sont bien mieux faits en Syrie », ajoute-il, un sourire en coin.